« Guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours. » PASTEUR
Chères lectrices, chers lecteurs,
Le patient vient nous trouver en se munissant de sa plainte. Il nous la confie, nous l’expose, et attend de nous la guérison. Mais laquelle ? La plainte est souvent le motif de consultation, le prétexte physique, psychique et social pour rencontrer quelqu’un dont le rôle est celui de soigner. Une idée selon laquelle on guérit parce qu’on n’a plus la plainte. Le symptôme a disparu, alors nous ne sommes plus malades. Vrai de vrai ? Nous agissons encore trop souvent en ombre chinoise en confondant l’ombre de la plainte avec ce qu’elle est. Et dans ce cas au risque de ne plus com- prendre pourquoi l’ombre se projette. A l’ombre du symptôme dont se plaint le patient, parfois la protection que le praticien confond avec son envie de soigner.
Michel travaille à l’hôpital dans un service de pointe. Praticien de qualité, serviable, humain, c’est un travailleur acharné, autant qu’un père de famille investi. Il est partout, se doit de faire et d’accomplir toutes les tâches importantes à la maison autant que dans son travail. Trois enfants, bien éduqués, qui réussissent, tout va pour le mieux. La rigueur et l’exemplarité,ça il connaît ! Alors lorsqu’il commence à ressentir une tension anxieuse derrière son volant, installé dans sa voiture, c’est que quelque chose grippe cette mécanique qui va si bien partout. Un grain de sable ? Ou boule de neige, bientôt il n’arrive plus à conduire et va de l’anxiété à l’angoisse aiguë, paralysante.
Il n’est quand même pas possible que ce tableau si parfait, si bien géré, ne prenne ombrage de cette peur, qui d’ailleurs n’a aucun sens pour lui. « Phobie de la voiture », murmure-t-il à peine en venant me voir. On attend de l’hypnose qu’en deux- trois séances ce soit terminé, et basta ! on retourne à ce qu’il faut. Son regard assuré, sa parole claire, l’évidence ne fait pas plus de pli que son costume, c’est certain quelques séances suffiront à régler le problème. Si on attend cela de l’hypnose, c’est à chaque praticien de n’attendre rien. Trop facile, trop rapide, trop satisfaisant, les écueils sur les- quels le praticien peut (s’) échouer sont nombreux, aveuglé par l’ombre du symptôme.
Je le questionne, j’essaye d’ouvrir les champs du possible et autant mon regard clinique. « Si votre symptôme avait une vraie raison justifiée d’être, qu’est-ce que cela pourrait être ? S’il fallait plaider la cause de votre angoisse, en quoi nous aiderait-elle à comprendre quelque chose de suffisamment important pour vous ? » Ces suggestions interrogatives paradoxales le surprennent, mais n’entache en rien son impression consciente que tout est bien réglé.
« Non, je ne sais pas docteur, tout va vraiment bien, ma vie me plaît, je travaille beaucoup. Bon c’est vrai que j’ai connu une période vraiment très chargée cet hiver, avant que ça n’apparaisse, mais je gère.
- Et qu’avez-vous comme moment pour vous reposer ? Un espace personnel ? »
Il donne tout et à tout endroit, autant qu’il n’est nulle part à lui. La satisfaction de son travail bien réalisé qui prend toute place, tant professionnelle que personnelle, ne lui laisse plus grande possibilité d’être. Il n’y a justement plus d’endroit où il ne doit pas être encore contraint à devoir faire, devoir être le meilleur. Tout aux autres, rien à soi.
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Chères lectrices, chers lecteurs,
Le patient vient nous trouver en se munissant de sa plainte. Il nous la confie, nous l’expose, et attend de nous la guérison. Mais laquelle ? La plainte est souvent le motif de consultation, le prétexte physique, psychique et social pour rencontrer quelqu’un dont le rôle est celui de soigner. Une idée selon laquelle on guérit parce qu’on n’a plus la plainte. Le symptôme a disparu, alors nous ne sommes plus malades. Vrai de vrai ? Nous agissons encore trop souvent en ombre chinoise en confondant l’ombre de la plainte avec ce qu’elle est. Et dans ce cas au risque de ne plus com- prendre pourquoi l’ombre se projette. A l’ombre du symptôme dont se plaint le patient, parfois la protection que le praticien confond avec son envie de soigner.
Michel travaille à l’hôpital dans un service de pointe. Praticien de qualité, serviable, humain, c’est un travailleur acharné, autant qu’un père de famille investi. Il est partout, se doit de faire et d’accomplir toutes les tâches importantes à la maison autant que dans son travail. Trois enfants, bien éduqués, qui réussissent, tout va pour le mieux. La rigueur et l’exemplarité,ça il connaît ! Alors lorsqu’il commence à ressentir une tension anxieuse derrière son volant, installé dans sa voiture, c’est que quelque chose grippe cette mécanique qui va si bien partout. Un grain de sable ? Ou boule de neige, bientôt il n’arrive plus à conduire et va de l’anxiété à l’angoisse aiguë, paralysante.
Il n’est quand même pas possible que ce tableau si parfait, si bien géré, ne prenne ombrage de cette peur, qui d’ailleurs n’a aucun sens pour lui. « Phobie de la voiture », murmure-t-il à peine en venant me voir. On attend de l’hypnose qu’en deux- trois séances ce soit terminé, et basta ! on retourne à ce qu’il faut. Son regard assuré, sa parole claire, l’évidence ne fait pas plus de pli que son costume, c’est certain quelques séances suffiront à régler le problème. Si on attend cela de l’hypnose, c’est à chaque praticien de n’attendre rien. Trop facile, trop rapide, trop satisfaisant, les écueils sur les- quels le praticien peut (s’) échouer sont nombreux, aveuglé par l’ombre du symptôme.
Je le questionne, j’essaye d’ouvrir les champs du possible et autant mon regard clinique. « Si votre symptôme avait une vraie raison justifiée d’être, qu’est-ce que cela pourrait être ? S’il fallait plaider la cause de votre angoisse, en quoi nous aiderait-elle à comprendre quelque chose de suffisamment important pour vous ? » Ces suggestions interrogatives paradoxales le surprennent, mais n’entache en rien son impression consciente que tout est bien réglé.
« Non, je ne sais pas docteur, tout va vraiment bien, ma vie me plaît, je travaille beaucoup. Bon c’est vrai que j’ai connu une période vraiment très chargée cet hiver, avant que ça n’apparaisse, mais je gère.
- Et qu’avez-vous comme moment pour vous reposer ? Un espace personnel ? »
Il donne tout et à tout endroit, autant qu’il n’est nulle part à lui. La satisfaction de son travail bien réalisé qui prend toute place, tant professionnelle que personnelle, ne lui laisse plus grande possibilité d’être. Il n’y a justement plus d’endroit où il ne doit pas être encore contraint à devoir faire, devoir être le meilleur. Tout aux autres, rien à soi.
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