La fleur s’étire, s’entrouvre, sèche ses pétales sous les rayons naissants du soleil. C’est un beau matin clair et radieux. Ses soeurs tulipes tout pareillement s’ébrouent, redressent leur tête et ouvrent leur coeur de pistil vers le soleil déjà chaud. La belle tulipe dans sa robe jaune sent déjà la tiédeur de l’air qui l’envahit. Elle se tourne alors vers le soleil et comme pour un baiser lui tend ses pétales et lui murmure un tendre remerciement pour sa douce lumière. Non loin de là, le saule pleureur, qui laisse traîner ses longues lianes jusqu’au sol, entend la tulipe et l’interpelle vivement.
« Petite sotte, qui remercies-tu ? Le soleil ? Il est bien trop loin pour t’entendre !
- Il n’est pas si loin, lui répondit-elle, puisque je sens sa chaleur dans toutes mes fibres.
- Il ajouta : Qu’as-tu besoin de le remercier ? Si tu l’ignorais, crois-tu qu’il brillerait moins fort ?
- Il est normal de remercier le soleil qui nous éclaire, nous réchauffe et nous aide à grandir, s’exclama-t-elle dans toute sa candeur irritée. D’ailleurs, toi-même ne remercies-tu pas la pluie qui te désaltère ?
- Non ! lui répondit le saule, chacun existe et vit à sa manière. Le soleil brille, la fleur s’épanouit et le saule pleure : à chacun sa destinée. Quand les rayons du soleil brûleront ta chair, toutes tes plaintes n’y pourront rien changer, et si mon ombre te protège ou t’exaspère, je n’y pourrais rien, je pousse là où je suis planté. Ni merci, ni plainte, belle tulipe, le soleil, comme le vent ou la pluie, se moque bien de ta gratitude. Tu les remercies comme si tu avais eu le pouvoir de les commander. Quelle prétention !
- Bien amer ce saule pleureur », se dit la tulipe jaune.
Toutefois ces paroles la troublent, l’inquiètent. Le soleil vit sa vie de soleil, il brille par nature et ne saurait faire autrement. La belle tulipe resta ainsi songeuse toute la matinée. Cette conversation l’avait rendue triste. « C’est vrai, pensa-t-elle, le soleil me chauffe contre mon gré et cette rosée du matin a trempé mes pétales, précipitant mon réveil. » Ses pensées se mirent à la tourmenter. Ainsi, peu à peu, tout ce dont la belle tulipe se réjouissait tant, semble maintenant peser sur sa vie. Elle s’épuise à devoir tirer l’eau de la terre. Elle jalouse les arbres qui supportent mieux qu’elle les coups de vent. Elle se plaint de la nuit trop fraîche. Elle voudrait avoir la tige solide des iris et leur mauve éclatant. Elle se méfie et s’énerve contre la pluie, le vent, le froid, la nuit et même le soleil qui lui sont imposés. Elle se sent les subir et ne parvient plus à supporter sa triste dépendance. Elle se tourne vers le saule et lui dit : « Vois ! mes couleurs se ternissent, ma tige maigrit. Je ne décide rien de ma vie, le soleil brille quand il veut, la pluie m’inonde sans mon accord, le vent me courbe à me casser. Mes soeurs tulipes ignorent tout de cela et je les vois radieuses comme je l’étais. Qu’avais-tu besoin de me parler ce matin ? Arbre de malheur !
- Calme ta colère, tulipe. En quoi t’ai-je menti ? N’es-tu pas obligée de subir les intempéries, les saisons, la soif et la froidure ? Non, personne ne se soucie de ton merci ou ta rage. La vérité peut être triste. » La frêle tulipe se retourna, tremblante ; quelques sanglots agitant ses longues feuilles. Mais voici qu’un papillon de bon augure vint se poser au coeur de la tulipe, butiner son précieux pollen. Excédée de tant de sans-gêne, irritée par cette intrusion, la tulipe tente de le capturer ou à tout le moins de faire fuir cet indésirable. Mais le soleil brille et chauffe ses pétales qui ne pourront se refermer avant le soir. Un immense désespoir l’envahit, elle s’effondre en larmes au grand désarroi du papillon. « Belle tulipe, ne pleure pas, je t’apporte le nectar des autres fleurs que j’ai visitées ce matin. Ta robe jaune m’a attiré et j’ai mêlé ton pollen aux meilleurs de ce jardin.
- Tes paroles sont bien douces, papillon, mais vois-tu, je ne peux guère m’en réjouir……
« Petite sotte, qui remercies-tu ? Le soleil ? Il est bien trop loin pour t’entendre !
- Il n’est pas si loin, lui répondit-elle, puisque je sens sa chaleur dans toutes mes fibres.
- Il ajouta : Qu’as-tu besoin de le remercier ? Si tu l’ignorais, crois-tu qu’il brillerait moins fort ?
- Il est normal de remercier le soleil qui nous éclaire, nous réchauffe et nous aide à grandir, s’exclama-t-elle dans toute sa candeur irritée. D’ailleurs, toi-même ne remercies-tu pas la pluie qui te désaltère ?
- Non ! lui répondit le saule, chacun existe et vit à sa manière. Le soleil brille, la fleur s’épanouit et le saule pleure : à chacun sa destinée. Quand les rayons du soleil brûleront ta chair, toutes tes plaintes n’y pourront rien changer, et si mon ombre te protège ou t’exaspère, je n’y pourrais rien, je pousse là où je suis planté. Ni merci, ni plainte, belle tulipe, le soleil, comme le vent ou la pluie, se moque bien de ta gratitude. Tu les remercies comme si tu avais eu le pouvoir de les commander. Quelle prétention !
- Bien amer ce saule pleureur », se dit la tulipe jaune.
Toutefois ces paroles la troublent, l’inquiètent. Le soleil vit sa vie de soleil, il brille par nature et ne saurait faire autrement. La belle tulipe resta ainsi songeuse toute la matinée. Cette conversation l’avait rendue triste. « C’est vrai, pensa-t-elle, le soleil me chauffe contre mon gré et cette rosée du matin a trempé mes pétales, précipitant mon réveil. » Ses pensées se mirent à la tourmenter. Ainsi, peu à peu, tout ce dont la belle tulipe se réjouissait tant, semble maintenant peser sur sa vie. Elle s’épuise à devoir tirer l’eau de la terre. Elle jalouse les arbres qui supportent mieux qu’elle les coups de vent. Elle se plaint de la nuit trop fraîche. Elle voudrait avoir la tige solide des iris et leur mauve éclatant. Elle se méfie et s’énerve contre la pluie, le vent, le froid, la nuit et même le soleil qui lui sont imposés. Elle se sent les subir et ne parvient plus à supporter sa triste dépendance. Elle se tourne vers le saule et lui dit : « Vois ! mes couleurs se ternissent, ma tige maigrit. Je ne décide rien de ma vie, le soleil brille quand il veut, la pluie m’inonde sans mon accord, le vent me courbe à me casser. Mes soeurs tulipes ignorent tout de cela et je les vois radieuses comme je l’étais. Qu’avais-tu besoin de me parler ce matin ? Arbre de malheur !
- Calme ta colère, tulipe. En quoi t’ai-je menti ? N’es-tu pas obligée de subir les intempéries, les saisons, la soif et la froidure ? Non, personne ne se soucie de ton merci ou ta rage. La vérité peut être triste. » La frêle tulipe se retourna, tremblante ; quelques sanglots agitant ses longues feuilles. Mais voici qu’un papillon de bon augure vint se poser au coeur de la tulipe, butiner son précieux pollen. Excédée de tant de sans-gêne, irritée par cette intrusion, la tulipe tente de le capturer ou à tout le moins de faire fuir cet indésirable. Mais le soleil brille et chauffe ses pétales qui ne pourront se refermer avant le soir. Un immense désespoir l’envahit, elle s’effondre en larmes au grand désarroi du papillon. « Belle tulipe, ne pleure pas, je t’apporte le nectar des autres fleurs que j’ai visitées ce matin. Ta robe jaune m’a attiré et j’ai mêlé ton pollen aux meilleurs de ce jardin.
- Tes paroles sont bien douces, papillon, mais vois-tu, je ne peux guère m’en réjouir……
JEAN-MARC BENHAIEM
Médecin-hypnothérapeute, praticien en centre de traitement de la douleur à l’Hôtel-Dieu (Paris).
Dirige le diplôme universitaire d’Hypnose médicale à Paris-VI (Pitié-Salpêtrière) et a publié plusieurs livres autour de la pratique de l’hypnose en médecine chez Odile Jacob (L’hypnose ou les portes de la guérison, avec François Roustang), Albin Michel, Trédaniel, In Press.
Médecin-hypnothérapeute, praticien en centre de traitement de la douleur à l’Hôtel-Dieu (Paris).
Dirige le diplôme universitaire d’Hypnose médicale à Paris-VI (Pitié-Salpêtrière) et a publié plusieurs livres autour de la pratique de l’hypnose en médecine chez Odile Jacob (L’hypnose ou les portes de la guérison, avec François Roustang), Albin Michel, Trédaniel, In Press.
Pour lire la suite
N°58 : août/septembre/octobre – Parution le 31 juillet
Dossier : crise et après-crise
Le dossier de ce n°58 est consacré aux conséquences de la crise sanitaire sur les patients et aux pratiques thérapeutiques qui en découlent.
- Edito : Sophie Cohen
- On ne saurait se passer des étoiles. Marc-Alain Ouaknin, philosophe
- Leçon d’un confinement. David Le Breton, sociologue
- L’angoisse de mort. Véronique Cohier-Rahban, psychothérapeute
Espace Douleur Douceur
- Modifier nos pratiques thérapeutiques ? Henri Bensoussan, médecin hypnothérapeute
- Une bulle d’oxygène. Au centre hospitalier de Bligny. Agathe Delignières, psychologue
- L’expérience sécure. Développement du « lieu sûr ». Arnaud Zeman, Hypnothérapeute
Dossier « Crise et après crise »
Edito : Sophie Cohen
- La tulipe et le saule pleureur. Un conte de Jean-Marc Benhaiem, médecin hypnothérapeute
- 17 jours dans les griffes du Covid-19. Un témoignage d’Olivier Debas, médecin urgentiste, touché par la maladie.
- Ecrire pour sortir du problème. Vania Torres-Lacaze, Guillaume Delannoy, Annick Toussaint responsables de l’IGB
- Confinement : corps, émotions et représentations psychiques. Bruno Dubos
- Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : « période bousculée ». Stefano Colombo et Mohand Chérif Si Ahmed (alias Muhuc)
- Les champs du possible : Connaître de l’Autre, Soi-même. Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
- Culture monde : Chamanisme chez les indiens Shipibos-Conibos. Jean-Marc Boyer, psychopraticien
- Les grands entretiens. Réglementer la pratique de l’hypnose. Entretien avec Gérard Fitoussi, président de la CFHTB
- Livres en bouche
- Ouvrages de David Le Breton
Dossier : crise et après-crise
Le dossier de ce n°58 est consacré aux conséquences de la crise sanitaire sur les patients et aux pratiques thérapeutiques qui en découlent.
- Edito : Sophie Cohen
- On ne saurait se passer des étoiles. Marc-Alain Ouaknin, philosophe
- Leçon d’un confinement. David Le Breton, sociologue
- L’angoisse de mort. Véronique Cohier-Rahban, psychothérapeute
Espace Douleur Douceur
- Modifier nos pratiques thérapeutiques ? Henri Bensoussan, médecin hypnothérapeute
- Une bulle d’oxygène. Au centre hospitalier de Bligny. Agathe Delignières, psychologue
- L’expérience sécure. Développement du « lieu sûr ». Arnaud Zeman, Hypnothérapeute
Dossier « Crise et après crise »
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- La tulipe et le saule pleureur. Un conte de Jean-Marc Benhaiem, médecin hypnothérapeute
- 17 jours dans les griffes du Covid-19. Un témoignage d’Olivier Debas, médecin urgentiste, touché par la maladie.
- Ecrire pour sortir du problème. Vania Torres-Lacaze, Guillaume Delannoy, Annick Toussaint responsables de l’IGB
- Confinement : corps, émotions et représentations psychiques. Bruno Dubos
- Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : « période bousculée ». Stefano Colombo et Mohand Chérif Si Ahmed (alias Muhuc)
- Les champs du possible : Connaître de l’Autre, Soi-même. Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
- Culture monde : Chamanisme chez les indiens Shipibos-Conibos. Jean-Marc Boyer, psychopraticien
- Les grands entretiens. Réglementer la pratique de l’hypnose. Entretien avec Gérard Fitoussi, président de la CFHTB
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