Pratiques Narratives et Hypnose: en Activation de Conscience.


Béatrice DAMERON.
L’évolution des psychothérapies axées sur les capacités des patients intègre différentes sciences et disciplines de la pensée pour créer des modèles d’intervention plus efficients.



Belle endormie © Michel Levy
Utilise les références du patient pour ajuster le geste thérapeutique au plus près de son expérience. L’ouverture de la cure à diverses options stratégiques permet effectivement de soulager patients et praticiens de la « violence de l’interprétation », pour paraphraser Cornelius Castoriadis, et aboutit à réduire drastiquement les temps de cure après des décennies d’analyses de plus en plus interminables. Cet article se propose d’illustrer une manière d’associer deux modèles d’intervention en thérapies brèves : celui des Pratiques narratives créé en Australie par Michael White, et celui des Techniques d’Activation de Conscience (TAC) élaboré par Jean Becchio et ses associés au sein du CITAC (1).

Comme le savent ses praticiens et familiers en nombre croissant, la thérapie narrative se donne pour but de reconnecter les patients avec leur capacité à redevenir auteurs de leur vie et à conduire celle-ci suivant leur initiative personnelle. La métaphore narrative invite à explorer puis enrichir les histoires alternatives aux histoires de problème qui bloquent la personne dans des territoires de vie hostiles ou mortifères. Les Pratiques narratives reposent essentiellement sur la parole, c’est-à-dire sur des « conversations narratives » menées suivant des guides appelés « cartes ».

Comme les praticiens et curieux de plus en plus nombreux des Techniques d’Activation de Conscience l’ont compris, grâce notamment aux interventions et publications de Jean Becchio et Bruno Suarez, celles-ci proposent une évolution des pratiques thérapeutiques hypnotiques adossée aux découvertes les plus récentes en neurobiologie. Ces recherches conduisent entre autres le praticien à privilégier la transmission d’un processus d’auto-guérison : la prescription d’exercices d’autoactivation de conscience indique au patient comment réutiliser de façon autonome le même type de canevas qu’il a expérimenté en séance guidée.

Cet article a pour but de montrer comment l’intégration des Techniques d’Activation de Conscience aux histoires de vie du patient permet de combiner l’efficacité thérapeutique de deux approches en synergie, TAC et Pratiques narratives (notons à titre d’exemple que les intuitions narratives concernant l’importance de la « capacité à conduire sa vie », ou « capacité d’initiative personnelle », se trouvent corroborées par la notion d’« agentement » mise en évidence par les scientifiques). L’association de ces méthodes dans le travail thérapeutique permet de fournir au patient des pistes :
- pour se reconnecter de façon émotionnelle et corporelle à ses histoires préférées, grâce à une stimulation accrue de son cerveau ;
- pour développer sa propre capacité à prendre soin, chaque fois qu’il en ressent le besoin, de ce qui donne du sens à sa vie. Il s’agit donc de montrer, à l’aide d’exemples cliniques, comment les cartes narratives peuvent servir de supports à des séquences d’activation de conscience enrichies et prolongées par des exercices d’auto-activation de l’attention facilement reproductibles.

Et de pointer comment des approches élaborées, qui intègrent la complexité de pensées théoriques et de recherches scientifiques en évolution constante, peuvent aboutir à inspirer des gestes thérapeutiques simples, solidement ancrés dans le monde relationnel et métaphorique du patient.

TRAVERSER UN DEUIL : DIRE BONJOUR À NOUVEAU ET RÉINCORPORER LA RELATION EN ACTIVATION DE CONSCIENCE

Pour accompagner les familles qui venaient le consulter à la suite de la disparition d’un proche, Michael White s’est inspiré des recherches de l’anthropologue Barbara Myerhoff, enrichies par ses propres conversations avec des communautés aborigènes d’Australie concernant leur manière de pratiquer le deuil et d’honorer la mémoire des disparus. Ce qui lui a permis d’élaborer une « carte », c’est-à-dire un guide pour conduire des conversations thérapeutiques, en l’occurrence avec des patients endeuillés. La carte dite du « re membering » joue sur le double sens de « remember », qui peut signifier « se souvenir » (s’il est compris comme un seul mot), ou, orthographié en deux mots (« re member »), « réintégrer en tant que membre », ce qu’on pourrait traduire littéralement par « réincorporer ». La pratique du « re membering » répond à la métaphore de « dire bonjour à nouveau » que White distingue de ce qu’il nomme « la manière occidentale de traiter le deuil », qui elle imposerait comme norme la nécessité de « faire ses adieux ».

En effet, comme peut-être beaucoup d’entre nous ont eu l’occasion de le constater, la recommandation dominante en cas de décès d’une personne chère s’exprime dans les métaphores de : lâcher prise et laisser partir, tourner la page pour aller de l’avant, accepter la séparation et dire adieu définitivement, etc. Dans le contexte de la disparition de personnes qui ont eu à faire face à une longue maladie ou à la dégradation de leurs fonctions cognitives, cette façon de faire peut trouver des appuis dans les mécanismes de la mémoire à court terme : les premiers souvenirs qui surgissent immédiatement après le décès, souvent douloureux, font revivre les derniers instants de la personne disparue. Les images de cette ultime période de vie renvoient les accompagnants à leur impuissance devant la souffrance, et à la manière dont la maladie a pu modifier leur relation avec le défunt.

Cette altération s’impose avec brutalité quand la famille a constaté que l’évolution des symptômes rendait la personne atteinte méconnaissable physiquement, quand la vulnérabilité réduisait la personne malade à la dépendance, ou quand confusion, désorientation et pertes de mémoire l’empêchaient de reconnaître les proches qui l’accompagnaient. Ces images de la fin de vie touchent l’entourage de façon d’autant plus douloureuse qu’elles ne rendent pas pleinement hommage à la personne disparue, ni à la richesse des liens qui ont existé.

Vouloir oublier et laisser derrière soi les souvenirs de ces derniers mois sembleraient une salutaire réaction... A condition de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, pour le dire trivialement, ni s’infliger une double peine : au fardeau inévitable de la douleur liée à la perte de la présence effective, il est inutile d’ajouter le chagrin, évitable lui, de devoir aussi annihiler la relation en cherchant à enfouir trop profondément le souvenir, ce qui aboutirait à se couper de liens qui nourrissent notre identité. Sur ce point, une nuance importante permet de préciser la pensée de White concernant le travail de deuil : il ne prend pas position contre la métaphore de « dire adieu », et observe que la perte ou la séparation imposent de faire ses adieux à beaucoup de choses. Par exemple à la présence physique, à des attentes, des espoirs et projets communs, etc. Ainsi le travail de deuil, pour s’effectuer de façon fluide, devrait intégrer un double mouvement : celui qui consiste à dire adieu (à ce qui ne peut plus s’actualiser), puis à dire bonjour à nouveau à ce qui a été partagé de précieux dans la relation.

Quand Monsieur S. vient pour une consultation qui s’étendra sur deux séances, nous nous connaissons déjà pour avoir mené ensemble, il y a environ deux ans, un travail de psychothérapie à la suite duquel il a opéré des changements importants et positifs dans sa vie. ll est donc habitué à l’activation de conscience avec laquelle il se sent en confiance, et sait pratiquer l’auto-hypnose. Son histoire est la suivante : bien que diagnostiqué dépressif et anxieux depuis sa jeunesse, ce presque sexagénaire avait réussi à trouver un travail qui le satisfaisait, et profitait avec plaisir de ses solides liens familiaux, tout en diminuant significativement les doses d’antidépresseurs qu’il absorbait depuis l’âge de 25 ans (!), quand est intervenu le décès de sa mère. Lorsque cette dernière s’éteint, M. S. traverse une phase de forte activité professionnelle à laquelle il fait face sans se sentir perturbé. Un mois plus tard, il prend 15 jours de vacances en famille à l’occasion des fêtes de fin d’année, et s’effondre. Il commence par perdre le sommeil, les angoisses l’agressent à nouveau, sa consommation de médicaments psychotropes reprend : somnifères, anxiolytiques, antidépresseurs, etc. En arrêt de travail depuis 15 jours, il se sent incapable de reprendre. Alors que, dit-il, l’idée de la fin de sa mère avait progressivement pris le sens d’une délivrance depuis environ deux ans, il est tourmenté par un souvenir pénible : durant le déclin de la vieille dame, il a été le premier de ses trois enfants dont elle a perdu la faculté de reconnaître.

M. S. est d’accord pour engager une conversation dans laquelle nous évoquerons le souvenir de sa mère dans l’esprit d’une promenade commémorative, ou comme on feuillette un album de photos de famille, pour rendre hommage et retrouver ce qui s’est échangé de précieux dans leur relation. Nous abordons d’abord les souvenirs qui évoquent ce que sa mère a apporté dans sa vie à lui. Il évoque la manière dont elle savait « être à l’écoute », sa capacité à rassurer l’enfant anxieux et quelque peu envahissant qu’il dit avoir été, raconte la force de sa présence à son côté quand il a dû subir un pneumothorax à 18 ans, s’anime en rappelant comme « elle s’était dérangée pour arranger les choses » à l’école quand il avait de mauvaises notes, et s’émeut en concluant : « Elle a été d’une aide énorme dans tous les domaines. »

Puis nous explorons ce que sa présence à lui a pu apporter dans la vie de sa mère. Il explique être né « par accident », respectivement dix et onze ans après ses deux soeurs aînées. C’est ainsi qu’il a pu offrir à sa mère une « deuxième jeunesse », en restant présent à la maison longtemps après ses aînées. Il se rappelle son plaisir à s’intégrer au « petit groupe » qui s’était formé entre ses parents et ses oncle et tante, la force paisible des liens qui les maintenaient « toujours ensemble ». Par ailleurs, M. S. exprime qu’il contribuait activement à nourrir la relation avec sa mère en la sollicitant, en lui faisant ses confidences et en partageant ses propres émotions. Puis M. S. est invité à s’attarder quelques instants pour identifier et nommer les valeurs partagées dans cette relation mère-fils et qui restent les plus précieuses pour lui. Il repère quelques fils narratifs qui témoignent de la manière dont celles-ci l’ont aidé à construire son identité, et restent des repères pour l’homme et le professionnel qu’il est devenu. Enfin la conversation l’amène à envisager brièvement les pistes et possibilités qui pourraient s’ouvrir à lui si ces valeurs prenaient encore davantage de place dans sa vie, puis à se fixer un objectif pour la séance. L’induction pour la séquence d’activation de conscience est très rapide : M. S. a pour consigne de se connecter à la figure importante et chère de sa mère, et de fermer les yeux dès qu’il est suffisamment en contact avec elle pour se sentir prêt à commencer l’exercice, ce qu’il fait quasi immédiatement.

Puis, après validation du signaling et rappel de la permission d’interrompre l’exercice à tout moment si quelque chose ne lui convient pas, nous reprenons simplement en activation de conscience les deux premières étapes de la conversation précédente : - Invité d’abord à laisser émerger le souvenir d’une scène qui évoque la manière dont la relation avec sa mère a façonné et enrichi sa propre vie, M. S. signale très vite l’apparition du souvenir. Le guidage lui propose d’explorer la scène sensoriellement suivant le PAVTOG : la manière dont cette expérience façonne sa posture de façon perceptible ou imperceptible, dont ses équilibres et rythmes intérieurs réagissent, ce qu’il entend, voit, ressent au toucher, sent et goûte. Enfin, il est invité à profiter de l’émotion particulière qui accompagne la scène, tandis qu’une série de suggestions emploie un vocabulaire expansif pour évoquer le travail de la partie créative de lui à l’oeuvre pour activer, recueillir, sélectionner et faire vivre tous les éléments utiles à sa progression dans ses étapes de vie. Le guidage reste alors silencieux quelques instants. - Une deuxième étape l’appelle à laisser émerger un souvenir qui exprime la manière dont lui-même a enrichi la vie de sa mère, dont sa présence a pu façonner l’image qu’elle se faisait d’elle-même.

A nouveau, le signal indique l’apparition quasi immédiate du souvenir. La suite est structurée de façon identique à ce qui précède : exploration sensorielle et émotionnelle, puis évocation, à l’aide d’un vocabulaire expansif, du travail créatif de résolution qui se fait en arrière-plan à partir des données de cette expérience. La séance se conclut avec la consigne de refaire l’exercice « avec ses deux étapes chaque fois qu’un nouvel objectif le rendra nécessaire », ou chaque fois que M. S. en ressentira le besoin, puis avec une question de diversion. M. S. est revenu 15 jours plus tard pour… Pour lire la suite...

BÉATRICE DAMERON
Psychologue psychothérapeute en exercice libéral dans les Hauts-de-Seine. Formée notamment aux Pratiques narratives par Michael White et ses collègues thérapeutes australiens, à l’HTSMA (Mimethys), et aux Techniques d’Activation de Conscience au sein du CITAC. Co-auteure et co-coordinatrice de l’ouvrage Les approches collaboratives en thérapie, Satas, 2013.

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Hypnothérapeute, dirige le Cabinet d'Hypnose, EMDR-IMO de Marseille 13008., Psychologue,… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le 20/05/2020 à 10:22 | Lu 2256 fois modifié le 23/09/2020



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