Etre Thérapeute. Par Jean-Philippe VERON Psychologue et Ostéopathe




Etre Thérapeute: Un Film d'Erreurs en 3D, par Jean-Philippe VERON, Ostéopathe et Psychologue

Ostéopathe devenu psychologue, Jean-Philippe Veron aborde sous trois angles comment l’erreur fait partie intégrante de la vie de thérapeute. Sur le mode de l’humour, une question éthique centrale est posée. Un texte publié avec l’accord de l’association Paradoxes, pour la Revue Hypnose & Thérapies Brèves

La simplicité du modèle de la thérapie brève est assez rassurante pour le thérapeute débutant : les étapes sont limpides, donc peu de chances de se tromper. Or la pratique se révèle être à l’exact opposé ! « Ne pas se tromper » : une injonction harcelante pour le praticien qui, dans le domaine de la thérapie comme dans d’autres, a toujours tendance à dramatiser les conséquences de ses erreurs. Et pourtant, chacun sait qu’un apprentissage ne s’effectue qu’en mesurant les conséquences d’actions inadaptées pour modifier ses comportements futurs : beaucoup se tromper conduit donc à beaucoup apprendre.

Cette intervention1 est une promenade au pays des erreurs que j’ai commises. Par définition elles m’ont été utiles ; les entendre aidera peut-être. En sachant néanmoins que la seule thérapeutique est d’en faire aussi.

Avec le recul, je me dis qu’il faut une certaine dose de masochisme pour s’acharner dans ce métier. L’expérience vous est nécessairement arrivée : un client revient, ravi, et vous dit sur un ton enchanté : « La dernière fois, vous m’avez dit quelque chose de vraiment important, ça a tout changé pour moi ! ». Là, on s’enfonce imperceptiblement sur son siège en maîtrisant autant que possible son langage non verbal, on repense à toutes les interventions faites, aux recadrages qu’on a su placer comme il faut. De se dire : « Attention à ta position basse », de se renfrogner un peu juste pour montrer qu’on doute, et d’arriver à lâcher : «Comment ? Je ne vois vraiment pas ce que j’ai pu dire. ». Et la personne de renchérir : « Mais si, quand vous m’avez dit… ». Et d’entendre une chose si anodine, ou une banalité sans nom, que vous doutez même d’avoir pu dire une bêtise pareille !

Comment se jouent vraiment les choses dans cette interaction sociale particulière qu’est la psychothérapie ? Que contrôle-t-on véritablement de ce processus ? La question est cruelle. C’est une évidence : faites dire la même phrase par des interlocuteurs différents et la façon de répondre d’une même personne ne sera jamais la même. Pire : les effets ne seront pas les mêmes. Chacun, par sa posture, ses intentions, son vocabulaire, son ton, mais aussi probablement par son histoire, et plus globalement par sa vie entière, oriente l’interaction de façon personnelle, unique.

Mais aussi, contrairement à l’exemple donné, et fort heureusement pour nous thérapeutes, il est des situations où les faits semblent « coller » avec la théorie que l’on a apprise ; et nous voilà donc rassurés. En tous cas c’est l’histoire que l’on se raconte et, suivant la théorie psychologique de l’Attribution Causale (Fritz Heider (1958)), on donne à des agents externes (le contexte, le hasard, Dieu …) ou internes (ses propres actions) le mérite des résultats observés. Comme tout un chacun, j’aime à croire que les actions que j’engage produisent leurs effets. Mais, à dire vrai, vous l’aurez compris, les interrogations sont plus nombreuses que les certitudes.

Alors, forcément, venir parler de l’application du modèle de Palo Alto, de mettre en relief les erreurs par lesquelles je suis passé, de laisser entendre qu’il pourrait y avoir une bonne façon de faire, peut laisser pantois. Mais si la question du « comment ça fonctionne » reste ouverte, l’étonnement devant ces instants particuliers dans les thérapies sécrète la motivation à s’acharner un peu plus.

Mais, trêve d’apitoiements, venons-en au sujet : des bienfaits de faire des bêtises. Je vous propose de l’aborder par trois formules « glissantes » : « Le client a toujours tort », « Il voit des clients partout » et enfin « Aïe ! J’ai mal à mon modèle ».

LE CLIENT A TOUJOURS TORT

Cette formule, je la dois à un ami qui m’a fait découvrir une série américaine (que j’exècre) : In Treatment, dans laquelle l’acteur-thérapeute la place de façon humoristique. Regarder cette série est un supplice. D’abord j’ai l’impression de recommencer ma journée de travail, mais en pire tellement les interventions sont à l’opposé de la façon dont j’imagine qu’il est bien de s’occuper d’une personne.

Mais avant de savoir bien s’occuper de quelqu’un, il faut comprendre ce qu’est l’inverse.


Exemple : Cette jeune femme a réussi sa vie. Elle a un job avec d’importantes responsabilités dans une grande entreprise, et mène une vie de famille qui semble heureuse.

Ce qui motive sa démarche ? Un contexte de changement de direction, et son poste est sur la sellette du fait d’un nouveau manager qui ne veut plus d’elle. La question se pose de savoir si elle va réussir une transition en interne, et dans quelle activité, ou bien trouver autre chose ailleurs. Elle évoque aussi sa situation familiale : un mari tout aussi occupé qu’elle, plusieurs enfants et, c’est là que la situation devient plus dramatique, le second est porteur d’une de ces maladies orphelines que l’on ne souhaiterait pas à son pire ennemi. Cet enfant a besoin d’importants soins, dans des structures spécialisées. Elle essaie de s’occuper de lui pour le mieux malgré ses déplacements, délègue à d’autres, culpabilise… De plus, malgré l’absence de risque qu’on lui avait dit, le petit dernier présente depuis peu des symptômes inquiétants.

Est-il atteint lui aussi ? De la même affection ? Il lui faudra sans doute être encore plus présente à la maison, mais comment faire ? Donc beaucoup d’inquiétude, de peurs. Au bout de deux séances, on fait le tour de la situation, et je lui demande donc ce qu’elle attend de moi. De l’aider à définir son profil psychologique qui va lui être nécessaire pour son bilan de carrière, dit-elle. Et là, mon intervention, affligeante : « Pensez-vous que ce soit la priorité ? » Forcément, elle n’est jamais revenue.

J’imagine qu’en écoutant cette histoire, vous vous êtes « fait le film » (ou un autre d’ailleurs) : le drame personnel avec probablement deux de ses enfants malades, le dilemme entre son job et sa présence à la maison. Donc forcément, le problème à régler doit tourner autour de ça !

C’est inéluctable, notre cerveau analyse en permanence les informations venant de notre environnement et nous offre « sur un plateau » une image synthétique de ce qui se passe, met de la cohérence entre les événements : un mécanisme indispensable à la survie. En thérapie brève, on appelle ça la Vision du Monde : l’ensemble des explications (probablement le fruit des représentations mentales des apprentissages faits tout au long de notre existence) que l’on produit pour rendre compréhensible ce qui ne l’est pas. Il n’est rien à y faire, où que l’on se trouve, quoi qu’on fasse, on pense toujours quelque chose de quelque chose, on « se dit » quelque chose ; et la question n’est pas de savoir si cela est sensé ou pas, « juste » ou pas.

Vous le savez déjà certainement, le soulagement que peut trouver la personne qui vient nous voir ne doit rien à notre sagacité intellectuelle qui identifie « la cause » des maux. Ce phénomène est un véritable parasite qui, si on le laisse croître, nous fait prendre nos idées pour la réalité. Dans les formes mineures, on passe pour un crétin qui ne comprend rien ; dans les formes majeures, pour un halluciné ou un gourou (ceci dit, les gourous ont eux aussi des résultats).

D’où cette tension : il est impossible de ne pas avoir d’idées sur les choses, et pourtant ces idées ne sont pas utiles à la thérapie, ou très rarement. Inutile de les contrôler, c’est vain. Ces idées sont inépuisables, inaltérables.

Bien sûr, le rouage important dans le processus de la thérapie brève passe davantage par la connaissance de la Vision du Monde de la personne qui vient. La difficulté est donc de recueillir ces informations en tenant compte du « filtre intellectuel » de nos jugements et pensées. Comment y parvenir ? Je serai bien en peine de donner un quelconque conseil. Mon chemin est passé, et passe encore, par des chocs brutaux avec mes propres représentations, jusqu’à ce que je sois capable d’identifier « ma petite musique », de lui faire une place en la trouvant attendrissante, en l’aimant un peu en quelque sorte, et en la sachant totalement inutile pour la personne qui vient me voir.

IL VOIT DES CLIENTS PARTOUT Avoir un « bon client », au sens du modèle de Palo Alto (c’est à dire quelqu’un qui est prêt à faire quelque chose pour changer), n’est pas donné d’emblée, contrairement à ce que nos rêves thérapeutiques voudraient nous laisser croire.

Voici mes statistiques personnelles (et absolument pas scientifiques) :

- Moins d’un sur dix arrive avec un problème « bien ficelé », et dans une difficulté telle qu’il est prêt à écouter et suivre nos suggestions. C’est dans ces cas qu’un changement effectif survient en une ou deux séances. Ce sont aussi, malheureusement pour nous, les situations dans lesquelles on se prend pour un magicien ou, pour les plus modestes, dans lesquelles on se dit que la thérapie brève est magique. Risque majeur : grosse tête assurée !

- Si je rajoute maintenant une, deux, (et peut être trois personnes en étant optimiste), on arrive à la proportion où l’application du modèle peut porter ses fruits avec des séances qui sont de l’ordre de quelques dizaines. Donc, clientéliser, traiter la plainte en la problématisant, aller à l’inverse des tentatives de solution, etc.

- Pour le reste, soit six à sept sur dix, ce sont, pour moi, des clients « en devenir » (un terme qui me convient mieux que les vocables péjoratifs qu’on rencontre souvent : visiteurs, plaignants, therapist killers, …). Ici, c’est un travail de longue haleine (mais en général les personnes y sont prêtes) qui consiste à clientéliser autant qu’il est possible, en sachant qu’il se peut aussi que cela ne se produise jamais.

Voilà ! Seulement quand on sort de formation et qu’on passe du temps à apprendre une méthode, on n’a qu’une envie. C’est comme le gamin qui le jour de Noël ouvre ses cadeaux : il faut les utiliser « tout de suite ». Avec la conséquence que vous connaissez si vous êtes parent : les jouets ne survivent généralement pas au 25 décembre.

Nous y sommes : confondre thérapie brève et thérapie précoce, où l’art de poser en une séance (maximum deux) toutes les questions clefs du modèle : quel est le problème ? En quoi est-ce un problème ? Qu’est-ce que vous faites pour … ? A quoi vous verrez que… ? Etc. La catastrophe est assurée, mais il est bon d’en faire l’expérience. En fait on confond rapidité et efficacité. C’en est même à se demander si ça rime encore à quelque chose d’appeler cette méthode d’invention thérapie brève. Le poids de l’histoire et la révérence aux pionniers.

D’où mon éloge de la lenteur. Il m’apparaît que chaque personne qui vient consulter a son propre rythme (presque au sens physiologique), qu’il est important de ne pas l’interrompre même si cela s’étale sur plusieurs séances (sauf dans les cas où ça devient un problème pour la thérapie bien sûr). Il est un temps pour « raconter » son histoire, un autre pour exprimer l’aide dont on a besoin, un autre encore pour donner des explications, etc. Quelquefois, ces points s’enchaînent facilement sur la, ou les, premières séances. A d’autres reprises, il en faut bien davantage….

 JEAN-PHILIPPE VERON Psychologue systémicien âgé de 53 ans. Cursus réalisé à l'IGB et dans le cadre de l'association Paradoxes. Est aussi formé en hypnose (AFHYP) et exerce à Oloron Sainte Marie dans les Pyrénées Atlantiques.

 



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UN DIALOGUE FRUCTUEUX ET SÉCURISANT Fini le temps où le clinicien ne pouvait appréhender les neurosciences que sous l’angle d’une fascination bien souvent stérile et d’ailleurs généralement temporaire ou intermittente. Une nouvelle manière de voir est présentée ici, où le clinicien peut trouver dans les résultats des chercheurs des résonances de sa pratique quotidienne qui vont le rassurer et stimuler sa créativité.

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Printemps 2013, France, un jeune philosophe de 83 ans est en tête des ventes avec un essai1 écrit pour « ce nouvel écolier, cette jeune étudiante » d’aujourd’hui, qui – c’est « une des plus fortes ruptures de l’histoire depuis le néolithique »- habitent la ville tout en s’efforçant de ne pas polluer, vivent dans un « monde plein » de presque 7 milliards d’individus, et qui peuvent en moyenne espérer atteindre l’âge de 80 ans. A peu près l’âge de l’auteur justement.

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Frédéric ne possède ni voiture, ni moto. Encore heureux d’avoir un vélo, se console t-il en l’enfourchant pour se diriger vers la forêt toute proche. Il a une profonde envie de se remplir les poumons des parfums des arbres et du sous-bois.

Avancées et limites - Antoine Bioy
Nous commençons cette rubrique par deux jolies publications françaises. Citons d’abord celle de Patrick Catoire et al. qui étudient le transfert d’embryons avec une préparation incluant l’hypnose par rapport à une préparation standard (médicament et relaxation). Ils montrent l’absence de différence tant sur le niveau d’anxiété, que sur le ratio de naissance.

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En présentant aux congrès de Brème et de Strasbourg les processus hypnotiques que l’on trouve dans les oeuvres de Bach et Debussy, j’ai associé deux compositeurs qui, à première vue, s’opposent.
La musique de J-S. Bach, comme toute la musique baroque, exerce un effet apaisant.

Le Certificat d'Hypnose Clinique - Dr Patrick BELLET
UN ENJEU PROFESSIONNEL POUR LA CFHTB !
Nous sommes à un moment clé de notre développement. Le 8ème Forum à Strasbourg a marqué une évolution européenne de notre travail, 2015 à Paris verra son exposition internationale.
En 1996, la CFHTB s’est créée à partir d’une prise en considération de notre identité et de sa spécificité. Simple, simplissime même !
Les différents « acteurs » francophones étaient dispersés, sans contacts les uns avec les autres, aucune structure ne les réunissait et pourtant les potentialités existaient. Isolées.



- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le 13/11/2015 à 00:37 | Lu 1562 fois modifié le 25/11/2015



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